Je suis un homme de pain.

Pour autant que je m’en souvienne, j’ai toujours été un enfant, un adolescent, puis un adulte accompli les mains dans la pâte.

" Il est moins intéressant d’évoquer (comme le font nombre de shows télévisuels populaires actuels) la reconversion récente que la vocation ou la relation intime qui me lie au pain "
" Je pense à toutes les personnes qui, comme moi, ont fini par réaliser une activité professionnelle pour laquelle ils étaient bons plutôt qu’une autre qu’ils avaient réellement envie d’exercer "
" A cette époque, mon estime de moi tout juste naissante, me laisse penser que je devrais me préserver de tout échec scolaire qui pourrait lui nuire "
" c’est un secteur où, dans le milieu des années nonantes, rien ne laissait envisager que la forte évolution industrielle du métier allait laisser de la place à des artisans motivés. C’était David contre Goliath sans issue légendaire. "

L’essentiel est mystérieux et a démarré il y a un moment. Je me rappelle de mes premiers pas dans la cuisine, debout sur une chaise, les mains dans un saladier plein de farine. Ma mère est juste à côté et me donne les indications. Les premières sensations sont fortes et, pour la première fois, peut-être, j’ai le sentiment de créer quelque chose de mes propres mains. Peut-être aussi ai-je l’impression d’avoir ma mère pour moi tout seul… ce serait injuste de le penser vraiment, mais à cet âge, je n’ai pas le recul pour juger correctement ce genre de situation. Toujours est-il que la boulangerie démarre, pour moi, à cette période.

A l’approche de la fin de la scolarité obligatoire, il est pour la première fois question de faire un choix professionnel (ou académique pour certains). Les chemins vont se croiser et c’est à nous de choisir lequel nous souhaitons suivre… A cette époque, mon estime de moi tout juste naissante, me laisse penser que je devrais me préserver de tout échec scolaire qui pourrait lui nuire. Le choix du collège ne semble donc pas forcément une bonne piste, ce d’autant plus que j’ai un petit côté anti-conformiste et que j’aimerais beaucoup gagner en indépendance.

Tout semble donc me pousser vers un apprentissage, pour gagner des sous, pour gagner en autonomie, pour ne pas faire comme les autres et surtout pour embrasser ma passion pour la boulangerie.

Mes parents m’obtiennent alors une place de stage dans la boulangerie du quartier. Juste en face de l’allée 15 de la rue du Vieux-Moulin à Onex… Juste pour essayer.

– Je m’arrête ici une seconde pour bien signaler que mes écrits suivants ne formulent aucune critique ou remarque à l’égard des personnes rencontrées à cet instant. Ils n’ont aucune forme de responsabilité sur la réalité sentimentale de mon expérience personnelle –

C’est la m*****….

J’y découvre deux personnalités « fortes » (le père et le fils), fatiguées par un travail de nuit et harassant. Ils sont passionnés, mais frustrés par l’obligation de pratiquer une boulangerie que j’appellerai de rendement. Transformés, par ces longues heures d’isolation, en oiseaux de nuit, qui, spontanément, me semblaient incompatibles avec une vie sociale équilibrée. Je me heurte alors à ma première désillusion professionnelle. La boulangerie, c’est cela. Un travail répétitif, pénible, qui n’offre que peu de place pour la créativité et qui plus est dans un milieu inhospitalier pour mes cornées malades (kératocones). Bref. c’est un métier qui vous change et pas forcément pour le mieux.

Puis, c’est un secteur où, dans le milieu des années nonantes, rien ne laissait envisager que la forte évolution industrielle du métier allait laisser de la place à des artisans motivés. C’était David contre Goliath sans issue légendaire.

" J’étais bon dans ce que je faisais (à l’école et au travail) et aucun échec n’est venu perturber cette marche en avant "
" De fait, je pensais que j’étais de nature insatisfaite et/ou incertaine… Aujourd’hui, je suis convaincu que ces cycles relèvent plus d’une méconnaissance de ma propre personne "
" Fabriquer du pain, c'est aussi un métier indémodable, fondamental et transversal à toutes les cultures. "
" Je sais qu’il y a une place pour une boulangerie artisanale de qualité, à haute valeur ajoutée et qui propose des pains avec une forte identité. "

A cet instant, il semble évident que je ne saurai suivre cette voie… il fallait donc se réinventer un avenir, repartir de zéro et croire que la suite des choses pouvait quand même être digne d’intérêt. Les inscriptions pour le collège sont passées… j’étais alors tellement sûr de mon coup, que je n’avais même pas remarqué cette échéance administrative. C’est alors qu’en revenant à l’école, le lundi suivant, un de nos professeurs nous tend un formulaire pour postuler à une place d’apprentissage au sein de l’Etat de Genève. Ainsi soit-il… Deux mois et demi après, je me retrouve au sein du service de la Taxation « C » à corriger des déclarations d’impôts.

S’en suivra un parcours académique et professionnel logique et naturel. Il l’est pour deux raisons. J’étais bon dans ce que je faisais (à l’école et au travail) et aucun échec n’est venu perturber cette marche en avant. Vous pouvez aller loin sur ce chemin… jusqu’au bout. Mais faisais-je ce que j’avais réellement envie de faire ?

Bien que mes expériences professionnelles eussent été très diversifiées, je reconnais, aujourd’hui, avoir été comme piégé dans un carcan. Ce dernier a notamment provoqué la formation de cycles. Essai, expérimentation, destruction, nouvel essai, ainsi de suite. De fait, je pensais que j’étais de nature insatisfaite et/ou incertaine… Aujourd’hui, je suis convaincu que ces cycles relèvent plus d’une méconnaissance de ma propre personne (quels sont mes besoins, mes limites, mes peurs, etc.).

Or, il s’avère que l’exercice du pain, en ce qui me concerne, est très libérateur. Les questions sont moins nombreuses, je me sens bien là où je suis à l’instant précis. Il a un effet exutoire et relaxant. Quelque chose que je n’ai jamais vécu dans mes précédents métiers. J’aime à penser que la boulangerie est différente car elle me passionne, que j’aime la pratiquer, simplement.

Ma reconversion récente n’a donc rien de spécial… Pour moi elle ressemble juste à une reconnaissance de mes besoins actuels, de mes limites et de mes envies. Il est possible de faire de ses rêves une réalité et qu’il m’ait fallu 20 années d’explorations professionnelles pour m’en apercevoir ne me pose aucun problème.

J’ai également découvert que la boulangerie, même professionnelle, n’est pas faite exclusivement de ce dont j’ai été témoin adolescent. Fabriquer du pain, c’est aussi un métier indémodable, fondamental et transversal à toutes les cultures. Une joie sur laquelle, il est difficile de pondre les bons mots, mais qui peut, peut-être, s’expliquer par la beauté de marier une humble et accessible activité à un univers incroyablement complexe et mystérieux. Au même titre que les espèces animales peuplant notre planète, nous n’avons découvert qu’une infime partie de ce que le pain propose et a, encore, à proposer. L’initiation à travers ces possibles me place, de fait, dans une curiosité excitante et une saine ouverture d’esprit. La diversité, seule, des céréales et des farines qui en découlent, sont autant de couleurs avec lesquelles je veux peindre ce projet de boulangerie.

Enfin, je souhaite encore témoigner de l’état d’esprit qui m’anime et qui m’assure cette motivation entrepreneuriale sans faille. Cette revanche sociale que j’entends prendre pour mon « moi » adolescent qui subit sa première désillusion professionnelle à la sortie de la scolarité obligatoire. Je suis convaincu, aujourd’hui, qu’il y a une place pour une boulangerie artisanale de qualité, à haute valeur ajoutée et qui propose des pains avec une forte identité (cf Philosophie et valeurs).

Ma passion issue de ma vocation enfantine inexplorée et cette revanche sociale sont les gènes de ce projet.

Voilà donc tout ce que je désire faire désormais… cet humble pain au levain.

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